LA MANŒUVRE DE BIELSCHOWSKY


Jean-Bernard WEISS (Paris)

DESCRIPTION
La manœuvre de Bielschowsky, décrite en 1900 (1), consiste à incliner la tête du patient successivement sur chacune des deux épaules et à observer et/ou mesurer les variations de la déviation verticale des yeux.

Chez le sujet normal, lors de l’inclinaison de la tête sur l’épaule droite, il se produit une levo-cyclo-version réflexe, avec :
- la contraction :

et le relachement :

L’inclinaison de la tête sur l’épaule gauche produit des effets symétriques (Figure1).

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Figure 1
: Mouvement de torsion des yeux lors de l'inclinaison de la tête

En cas de parésie ou de fibrose d’un ou de plusieurs de ces muscles, une déviation verticale apparaît. Cette manœuvre entraîne une variation spécifique de cette déviation verticale selon que l’on incline la tête à droite ou à gauche. D’où la valeur diagnostique de la manœuvre de Bielschowsky.

Les paralysies ou les syndromes verticaux les plus fréquents sont la paralysie du grand oblique, la paralysie du droit supérieur, le syndrome de Brown (fibrose du grand oblique) et la fibrose du droit inférieur. Cette fibrose du droit inférieur est associée soit à une dysthyroïdie, soit à une myopie forte.

L’enregistrement coordimétrique de la manœuvre de Bielschowsky doit être rigoureux, sinon on s’expose à d’importantes erreurs. Lors de cet enregistrement, nous avons vu qu’il faut incliner la tête sur une épaule puis sur l’autre.

Il faut également incliner l’écran, en sorte que les lignes horizontales de l’écran restent parallèles à la droite joignant le centre des yeux (Figure 2). Si l’on s’abstenait d’incliner l’écran, une déviation purement verticale aurait une composante horizontale, et une déviation horizontale deviendrait partiellement verticale sur les schémas. Il s’agit d’un effet purement géométrique qui, si l’écran n’était pas incliné, rendrait l’interprétation des schémas aléatoire.

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Figure 2
: Inclinaison de l’écran du coordimètre durant la manœuvre de Bielschowsky.

Une autre cause d’erreur provient de la difficulté d’incliner la tête sur une épaule sans la tourner vers la droite ou vers la gauche. Or, le simple fait de tourner la tète modifie les schémas coordimétriques, suivant que l’œil paralysé est rapproché ou écarté du champ d’action du muscle paralysé,

Il faut donc respecter ces deux impératifs : incliner l’écran dans le mime sens que la tête du patient, et veiller à ce que la tête reste de face. À ces conditions, l’enregistrement de la manœuvre de Bielschowsky garde sa valeur.

Dans les exemples qui suivent, nous prendrons le cas d’une déviation verticale avec une hauteur de l’œil droit. Cette déviation peut être due :

Pour chacun des quatre cas, nous ne retiendrons que la position de torticolis, l’examen coordimétrique pratiqué la tête maintenue droite, puis penchée successivement sur chacune des deux épaules.

EXEMPLES

Paralysie du Grand Oblique de l’œil droit
Position de torticolis: tête penchée sur l’épaule gauche et souvent menton baissé (Figure 3).

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Figure 3
:Attitude compensatrice de la tète lors d’une paralysie du Grand Oblique Droit.

Coordimètre pratiqué quand la tête est verticale : la déviation verticale augmente dans le regard à gauche (Figure 4).

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Figure 4
: Paralysie du Grand Oblique Droit; coordimètre tête droite

Enregistrement de la manœuvre de Bielschowsky : la déviation verticale diminue quand la tête est penchée sur l’épaule gauche et augmente quand elle est penchée sur l’épaule droite (Figure 5).

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Figure 5
: Paralysie du Grand Oblique Droit; coordimètre tète penchée sur l’épaule droite (en haut) et tête penchée sur l’épaule gauche (en bas)

Paralysie du Droit Supérieur de l’œil gauche
Position de torticolis : menton levé et tête penchée sur l’épaule droite (Figure 6)

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Figure 6
: Attitude compensatrice de la tête lors d'une paralysie du droit supérieur gauche

Coordimètre pratiqué quand la tête est verticale : la déviation augmente dans le regard en haut et à gauche (Figure 7)

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Figure 7
: Paralysie du droit Supérieur Gauche; coordimètre tête droite

Enregistrement de la manœuvre de Bielschowsky; la déviation verticale diminue quand la tête est penchée sur l’épaule droite et augmente quand elle est penchée sur l’épaule gauche (Figure 8).

 

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Figure 8
: Paralysie du Droit Supérieur Gauche; coordimètre tête penchée sur l’épaule droite (en haut) et tête penchée sur l’épaule gauche (en bas)

Fibrose du Grand Oblique gauche (Syndrome de Brown)
Position de torticolis : menton levé et tête penchée sur l’épaule gauche.

Coordimètre pratiqué quand la tête est verticale : la déviation verticale augmente dans le regard en haut et à droite (Figure 9).

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Figure 9
: Syndrome de Brown : coordimètre tête droite

Enregistrement de la manœuvre de Bielschowsky : la déviation verticale diminue quand la tête est penchée sur l’épaule gauche et augmente quand elle est penchée sur l’épaule droite (Figure 10)

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Figure 10 : Syndrome de Brown ; coordimètre tête penchée sur l’épaule droite (en haut) et tête penchée sur l’épaule gauche (en bas)

Fibrose du Droit Inférieur gauche
Position de torticolis : menton levé et tête penchée sur
l’épaule gauche.

Coordimètre pratiqué quand la tête est verticale : la déviation verticale augmente dans le regard en haut et à gauche (Figure 11)

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Figure 11 : Fibrose du Droit Inférieur Gauche : coordimètre tête droite

Enregistrement de la manœuvre de Bielschowsky : la déviation verticale diminue quand la tête est penchée sur l’épaule gauche et augmente quand elle est penchée sur l’épaule droite (Figure12)

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Figure 12 : Fibrose du Droit Inférieur Gauche ; coordimètre tête penchée sur l’épaule droite (en haut) et tête penchée sur l’épaule gauche (en bas)

Le tableau suivant résume ces quatre cas :

 

TORTICOLIS

DÉVIATION

sur épaule

menton

maximale
Parésie du Grand Oblique Droit Gauche Baissé En bas à gauche
Parésie du Droit Supérieur Gauche Droite Levé En haut à gauche
Fibrose du Grand Oblique Gauche Gauche Levé En haut à droite
Fibrose du Droit Inférieur Gauche Gauche Levé En haut à gauche

 Déviation verticale avec l’œil droit plus haut : attitude compensatrice et déviation maximale.

INTÉRÊT CLINIQUE
Le plus souvent, l’intérêt de la manœuvre de Bielschowsky est de pouvoir confirmer le diagnostic de parésie d’un grand oblique suspecté par l’aspect caractéristique des schémas coordimétriques et la présence d’un torticolis.

Cependant, en cas de parésie congénitale d’un grand oblique, l’hyperaction du petit oblique homolatéral et l’hypoaction secondaire du droit supérieur controlatéral peuvent faire hésiter entre la paralysie d’un grand oblique et celle du droit supérieur controlatéral (Figure 4). L’enregistrement de la manœuvre de Bielschowsky (Figure 5) lève le doute.

On pourrait aussi hésiter entre la parésie d’un droit supérieur et la fibrose d’un droit inférieur homolatéral. Dans ce cas, l’enregistrement de la manœuvre de Bielschowsky lève également le doute. Et ceci est d’autant plus important que selon le diagnostic du muscle atteint, on oriente la recherche étiologique dans des directions différentes. Selon notre expérience, une diplopie dans le champ d’action d’un droit supérieur est souvent liée à une dysthyroïdie.

Enfin, en cas d’anisométropie myopique, l’œil le plus myope est, dans la quasi totalité des cas, dévié vers le bas. C’est le syndrome de l’œil lourd. Cette déviation verticale diminue quand la tête est penchée du coté de l’œil le plus myope. Mais, ce n’est pas pour autant qu’il existe une parésie du grand oblique de l’œil le moins myope (2).

En conclusion, l’enregistrement de la manœuvre de Bielschowsky nous semble devoir être pratiquée systématiquement en cas de diplopie verticale. De plus, cette manœuvre ne peut que confirmer le diagnostic de parésie d’un grand oblique. Mais, dans un certain nombre de cas, elle oriente la recherche étiologique en précisant l’atteinte oculomotrice.

BIBLIOGRAPHIE
(1) F.B. Hofmann, A. Bielschowsky : "Uber die der Willkver entzogenen Fusionsbewegungen der Augen". Pflugers Arch. 80:1, 1900
(2) A.O. Ciancia. : "Superior oblique paresis and anisometropia". In "the second congress of the International Strabismological Association", Ed. P. Fells. Marseille, 1976, 142-147.


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(Dernière mise à jour de cette page le 28/05/2006)